A LA DÉCOUVERTE DU PATRIMOINE PROTESTANT DE SEPVRET

Dans le cadre des journées européennes du patrimoine Philippe Bourdet nous a proposé samedi 18 septembre une ballade à la découverte d'une partie du patrimoine protestant de la commune Sepvret mais également  de ses paysages préservés aux sources de la Sèvre niortaise . La météo ne nous a pas été favorable et malheureusement le circuit a du être réduit : exit la tuilerie, Circé, le Plessis Sénéchal.... mais nous reviendrons !

Merci à la mairie de Sepvret pour les boissons offertes pour le pot et plus particulièrement à monsieur Charpentier, le maire, qui nous a accompagné lors de cette promenade découverte.

Cet article tente de restituer le propos de Philippe : 


 

Notre première halte fut pour le cimetière protestant communal de Sepvret : 

"L’Edit de Nantes prévoit la création, en pendant des cimetières catholiques et hors de ceux-ci, de cimetières pour les protestants, dont le choix de l’emplacement fut un dossier délicat pour les commissions chargées de son application.

Cadre juridique : une loi du 23 prairial an VIII (juin 1804) recommande que dans chaque cimetière communal, une parcelle distincte soit réservée à chaque culte professé dans la commune, catholique, protestant ou juif à cette époque ; cette marque de respect de tous les cultes illustre la politique napoléonienne de « panser les plaies » de la révolution de 1789, en vue d’aboutir à une réconciliation nationale. Rares sont les cimetières publics créés ex-nihilo pour les personnes non-catholiques: comme Sepvret, la Mothe-Saint-Héray (1823), Cherveux (1857) et Moncoutant (date ?). Nombreux sont ceux qui résultent de la division du cimetière communal, comme celui de Melle ou de Chauray (qui a compté 600 protestants sur 900 habitants) avec 2 entrées distinctes. Malgré ces dispositions les protestants ont continué à se faire ensevelir dans les cimetières de famille. Dans la région, ces cimetières ont accueilli essentiellement les protestants non propriétaires de terre pour s’y faire inhumer - ou ne souhaitant pas le faire ? 

Ici restent visibles 5 monuments en pierre calcaire sur bâtières, ou faux sarcophages, dont deux sont très « rongés » ; n’étant plus utilisé depuis un siècle, ce cimetière est devenu un petit bois . "

 A droite du chemin, premier petit cimetière familial clos de buis (morts); le buis (buxus sempervirens)  est une des essences d’arbres à feuillage persistant comme le chêne-vert ou yeuse, le cyprès, le pin, le laurier voire le yucca, choisies dans les cimetières afin de symboliser l’âme éternelle ; Il contient 6 sépultures représentatives de la sobriété initiale des tombes protestantes, de simples tertres de terre soigneusement maintenus au fil du temps.

Sur la route vers Fombedoire outre les lavoirs des Ouzines et des grands-fontaines nous avons pu admirer une suite d'arbres tétards remarquables le long de la Sèvre .


La famille Parisot de Fombedoire nous avait réservé la surprise d'une lecture d'un texte du pasteur jean Rivierre sur le lieu avec un accompagnement à la harpe celtique ( recueil "La Main dans La Main" récits du terroir poitevin) qui nous a tous profondément émus.

En cheminant vers la stèle consacrée à Berthelot l'insaisissable, nous avons découvert plusieurs cimetières familiaux.

La stèle à Berthelot l'insaisissable : 


 "  Les années 1719, 1720 et 1721 furent en Haut Poitou pour les pauvres protestants des années de fer et de misère » (Jean Migault)

- 1705-1715 : 55 ans après Migault, ce laboureur de Sepvret commence à organiser une résistance pacifique mais pas passive ;

-  « tutoyeur de Dieu »  il prêcha en s’inspirant de l’exemple de Marie Robin (vers 1665 - après 1710), dite "La Robine" née à Vançais (où un panneau évoque sa mémoire) d’un charpentier devenu « régent de ceux de la RPR  («  Religion Prétendue Réformée) et épouse en 1696 de Samuel Potet, de Pamproux. Comme d’autres elle priait pour le salut du roi de France et de Guillaume d’Orange, roi d’Angleterre ; son périmètre d’action s’étendait de la forêt de l’Hermitain à Beaussais ; elle figure dans un registre du Comité français de secours de fonds répertoriant les protestants réfugiés en Grande-Bretagne dans le besoin ; pour l’année 1705 la reine d’Angleterre accorda 12 000 livres de secours aux réfugiés : y est mentionnée « Marie Robin, 45 ans, veuve de Samuel Motet ; sans profession » à Spitafields, quartier londonien de tisserands occupé majoritairement par des français  (serait morte à Jersey) ;

- en 1715 il est interdit aux femmes de prêcher ;

- ce n’est qu’après la mort de Louis XIV (1/09) que les protestants pensant - à tort - que  le Régent allait « desserrer le carcan répressif »  s’enhardirent et commencèrent à tenir leurs regroupements clandestins en plein jour ;

- le 8/07 fut pendu un « conducteur de réfugiés » : le jeune Micheau fut pris en train de mener vers l’Angleterre les Sauzeau, fermiers d’un certain Guébin, maire et subdélégué de Lusignan qualifié de « mangeur de veuves et d’orphelins »...Il fit arrêter et emprisonner les membres de cette famille à Niort, où il réussit « par ses discours emmiellés» à les dépouiller de ce qu’il avait sur eux avant de les faire condamner, soit aux galères, soit au couvent ; un des fils, à qui une dame de Saint-Romans  trouvait «  bel air et bel esprit » devint son valet de chambre…cette position lui permit ensuite de faire libérer sa mère et ses sœurs ; quant à Micheau, il fut exécuté sur la place du Marché, et son corps exposé pendant une semaine sur le grand chemin de la Mothe à Saint-Léger ;

- en 1719 Berthelot organisa des assemblées sur l’emplacement des temples abattus sur ordre du roi depuis 1685 ; la plus connue est celle qu’il tient à Mougon, le 22/01/1719 (instruction judiciaire aux AD 79) ;

- à cette époque et au grand dam du curé de Couhé, le marquis de Vérac ( famille de Saint-Georges, à Couhé-Vérac (86) ) tolère que des assemblées clandestines se déroulent au pied même de son château…

- c’est alors  la « chasse à Berthelot » qui parvint à échapper aux archers royaux 16 fois, souvent aidé par la population qui trompait les archers du roi ;

- Berthelot sera brûlé en effigie sous la forme d’un mannequin de paille assis dans une chaire en bois sur la place deSaint-Maixent, par ordre de Chebrou (3) qui avait réussi à se la faire livrer (de nuit) par les notables protestants craignant des représailles ;

(3) un Laurent Chebrou fut avocat du roi à Niort au XVIIème s. (famille Ch. de La Roulière);

- son beau-frère Cotreau, qui habitait les environs de Fombedoire et vit « piller et fourrager sa maison », fut pendu à un chêne mais un dragon moins inhumain que les autres (ou craignant les conséquences de ce meurtre) coupa la corde d’un coup de sabre en disant «  On aurait bien pitié d’un chien », le laissèrent à demi-mort, et s’enfuirent ;

- le 1/07/1719, Jean Martin, auteur de prêches aux assemblées du Désert, condamné à Niort le 27/06 précédent pour rébellion contre le roi, fut pendu vis-à vis de la porte de l’ancien temple de Benet (85), démoli ; le même jour, Jean Nouzille est lui condamné aux galères à perpétuité, où il mourra le 7/09/1721 ; en 6 mois 7 hommes seront pendus ;

 - octobre 1720 : pendaison devant la porte de la maison de Berthelot de Jacques Chouillet, de Goux, capturé à Fombedoire; il resta attaché sur la potence avec ordre donné par Chatillon aux protestants du village de le garder sous peine d’être emprisonnés et leurs maisons pillées ;

- en 1721 Berthelot et sa famille durent fuir à Londres ; dès 1681 le roi Charles II d’Angleterre (1630-1685), baptisé par un évêque anglican, élevé par une comtesse protestante mais dont plusieurs parrains - dont sa grand’mère maternelle Marie de Médicis et son oncle Louis XIII - étaient catholiques, accorda des avantages aux réfugiés ;

- quant au prince Guillaume III d’Orange-Nassau (1650-1702), qui avait reçu dès 6 ans un enseignement journalier dans la religion réformée avec un prêtre calviniste, fut successivement stathouder des provinces de Hollande et autres, puis devint en 1689 roi d’ d’Angleterre, d’Irlande et d’Ecosse, il se posa en défenseur déclaré de la foi protestante, accordant aux français refuge et protection ;

- le départ des fugitifs était organisé par La Rochelle (17) ou Granville (50), dont le port était moins surveillé ; dans la région normande également marquée par le protestantisme, certains fugitifs préférant passer par la campagne, achetaient des itinéraires écrits ; ils étaient accueillis par des personnes sûres à Coutances ou Granville même, en attendant le bateau qui leur ferait traverser la Manche ; c’est via la Normandie que Jacques Bonnet, le jeune neveu de Berthelot , arriva à Tournai où il sera choisi comme pasteur du temple réformé (d’obédience calviniste) de langue française;

- on estime qu’à la fin du XVIIème s. 50 000 protestants avaient trouvé asile à Londres, qui compta 14 églises protestantes ou temples :

- 1730 : Berthelot meurt à Canterbury, dans ce « pays du Refuge » .  

Écourtant la promenade nous sommes allés directement à l'église :

L'église saint Martin : 

- lors d’une visite épiscopale en 1736, Sepvret a une église en mauvais état « près du château » ;

- en 1769 sont mentionnées 80 communions (pascales) et 500 protestants , mais en 1782 on n’en recense plus que la moitié ;

- de 1792 à 1868, il n’y pas de prêtre catholique à Sepvret ;

- l’église, vendue comme bien national, est en ruine en 1801 mais il y a une chapelle dans le presbytère, car en 1810 le curé de Chey « reçoit une abjuration dans l’oratoire » ;

- en 1848 une autre chapelle est construite « dans la cour du presbytère » ; elle est visible sur la photographie tirée en carte postale encadrée (reproduction agrandie exposée), montrant les 2 édifices cultuels voisinant avec un bâtiment agricole, lui aussi démoli ;

- lors du Second Empire, le conseil de fabrique réclame un prêtre à Sepvret, et le 22/04/1865 un décret impérial rétablit la succursale de Sepvret ;

- c'est en1903 que l’abbé Bonnet obtient le financement d’une nouvelle église grâce à la veuve du lieutenant-colonel Adam, propriétaire au village de Faugerit et domiciliée à Poitiers,

- 1905, loi de séparation des Eglises et de l’État : ce bien privé n’entre pas le domaine communal ;

- l’évêché finance la moitié du prix (1000 francs) du terrain jouxtant la vieille chapelle, qui sera acquis le 10/10/1904 ;

- les plans sont du prolifique architecte diocésain Alcide Boutaud (11) et la construction de l’entrepreneur Ligault à Melle ;

(11)  ardent catholique (1844-1929) auteur de plusieurs églises importantes de la région : N.D. de Pitié à la Chapelle Saint-Laurent, Saint-Etienne du Port à Niort (1883 ou 1893 -1900), édifiée également avec terrain et fonds privés, N.D. de la Roche-sur-Yon (85), celle de Marans (1900-1902) ; travailla jusqu’en Palestine, il donna entre autres les plans de la basilique Saint-Etienne, et de l’école chrétienne de Jérusalem ;

- le 9/12/1904, chute mortelle du chef de chantier qui démontait l’échafaudage

- en 1905 une horloge est posée sur la façade ;

- dès 1945, on doit ceinturer la sacristie, puis le bâtiment principal ;

- le 2/06/1963, la foudre frappe la flèche du clocher qui s’effondre (câble du paratonnerre oxydé);

- jusqu’en 1968 le clocher reste en l’état puis est arasé par sécurité ;

- en 1970, après l’horloge (on voit encore la partie inférieure de son cadre en pierre), la cloche est déposée ; 

-  le choeur fut éclairé à l‘origine par 3 vitraux historiés dont 2 sont conservés : l’un représente Saint-Martin, patron de l’église, l’autre Sainte-Adélaide ; ils portent en bas le double blason des commanditaires - à identifier, ainsi que l’atelier - le vitrail de gauche représentant Sainte-Catherine, a disparu (une des deux saintes peut être la patronne de Mme Adam);

- lustrerie apparemment originelle ;

- un autel avec 3 piliers de marbre à chapiteaux dorés ;

- un tabernacle « à ailes » de style néogothique en marbre ;

- deux autels votifs surmontés des statues de Notre-Dame des Victoires et de Sainte-Anne ;

- un chemin de croix (via crucis) en ronde-bosse  dans le style dit Saint-Sulpicien du nom d’un quartier de Paris; il représente les 14 « stations » du martyr du Christ ;

-  une bannière à l’effigie de Saint-Martin qui fut donnée à la paroisse après 1908 ;

- 2 statues en plâtre polychrome de part et d’autre du seuil de la nef : à gauche Jeanne d’Arc  et à droite Sainte-Thérèse de Lisieux ; elles y furent ajoutées postérieurement et probablement à des époques distinctes (consoles différentes) ;

- d’autres statues en plâtre polychrome plus ou moins complètes sont adossées au mur du fond de la tribune ;

- pavement constitué par endroits de carreaux de ciment polychrome à motifs, formant entre autres un « tapis » dans l’allée centrale.

La maison voisine, à gauche de l'édifice présente des pierres de réemploi dont une de grande taille utilisée en linteau de la lucarne supérieure : d'après Rémy Foisseau " Il y a 2 blasons sur le linteau de la lucarne, celui avec 3 oriflammes dont je ne connais pas l’appartenance et un demi avec des croissants de lune. Ce dernier est le blason des Arembert, seigneur de Sepvret au château à 100m de la maison. Une ancienne église dépendait de la seigneurie et était située du côté du lotissement, pas toujours en bon état. Les Aremberts étaient à Sepvret avant le 17ème et ont été remplacés par les Yongues après mariage. Très souvent dans les églises ou les chapelles il y avait une marque du seigneur dont l’église était fondée. La révolution a vendu les églises pour les pierres mais pas les châteaux."

L'ancien temple protestant

- 10/04/1858 : le conseil municipal décide d'acheter un terrain pour sa construction, et prévoit un budget de 5200  francs ;

- en 1860, alors que la commune compte alors 1176 habitants protestants pour seulement 50 catholiques, le CM approuve les plan et devis des architectes Godineau de La Bretonnerie et Bizard ; le plan rectangulaire s’inspire des granges où se réunissaient les protestants pour y célébrer leur culte clandestin ;

- en 1861 : les travaux sont adjugés à l’entrepreneur Melin, de Melle ;

-  en cette époque de grande influence politique des cercles catholiques (10), le conseil de fabrique évoque « l’arrogance des protestants qui terminent un temple des plus magnifiques »;

 - 1869 : achèvement des travaux ;

- le 26/06/1898, vu son délabrement le CM décide de le restaurer ;

- 1901 : un devis de l’architecte Martineau propose des réparations et une reconstruction de la sacristie ;

- 1902 : pendant les travaux, la commune loue une maison à usage de presbytère ;

- 1974 : année du dernier mariage célébré, désaffecté puis vendu, il devient une propriété particulière (habitation) ;

- encadrée de 2 cyprès (cupressus), arbre sempervirent symbolisant l’immortalité de l’âme des défunts : « Le cyprès, ce doigt de verdure éternelle qui nous montre le ciel » ;

- façade enduite, plus ornée que celles des temples protestants de la 1ère vague (1830-1840) de construction dans la région, généralement plus d'un style plus sobre ; 

- grand fronton triangulaire classique ; à l'intérieur du tympan, petit fronton « brisé » (ouvert), frise décorée, corniche, deux pilastres à chapiteaux dits corinthiens encadrant une grande baie à meneau ; bandeau en pierre moulurée marquant les niveaux ; le propriétaire de ce qui est désormais une habitation a modifié  la croix très sobre qui était au dessus du petit fronton en la sculpture d'un oiseau fantastique : 

Toutes les autres photographies sont .

Sources écrites  : 
 

Sources écrites :

  1. - Berthelot le huguenot insaisissable - récit historique (Gestes, 1995) ; « manuscrit de l’Sorte (pseudo de Jacques Bonnet, neveu de Berthelot) annoté par Jean Rivierre », avec introduction d’André Pacher et avant-propos par le pasteur Rivierre ;
  2. - Sylvette Brizard, R comme Robin Marie, la prédicante (sur le site de Genea 79 le 20/11/2020) ;
  3. - Collectif des sources de Sepvret, Retour aux sources (2019) ;
  4. - collectif, Châteaux manoirs et logis des Deux- Sèvres (1998) ;
  5. - Firmin-Dubreuil  Recherches historiques sur le canton de Lezay (1942, réédité en 2000) ;
  6. - Hoareau, Pairault et Poton, Huguenots d’Aunis et de Saintonge XVIème-XVIIIème siècles (Le Croît vif, 2017) ;
  7. - Auguste Lièvre, Histoire des protestants du Poitou (en trois volumes 1867- 1869) ;
  8. - Pascale Moisdon-Pouvreau, Patrimoine industriel des Deux-Sèvres (Inventaire général, 2005) ;
  9. - Jean Mesnard, Un fonds d’archives privées intéressant l’histoire littéraire : le chartrier des Yongues (« Annales du Midi  - Mélanges et documents » 1958, et « Revue du Bas-Poitou » de mai – juin 1958) ;
  10. - François Puaux, Histoire de la Réformation française (1863) ;
  11. - Jean Rivierre, Histoire des protestants du Poitou après la Révocation (SHSDS puis) ;
  12. -  French refugies in Great Britain (site anglais) ;
  13. - Le prédicant hérétique et séditieux.De l’édit de Compiègne (1557) à l’édit de janvier (1562)  (Revue historique, 2009 - en ligne)